Le bouddhisme en Occident

 


En Europe et aux États-Unis, de plus en plus de monde s’intéresse au Bouddhisme depuis de nombreuses années. Je pense qu’il est tout à fait légitime de se demander quelle sera l’évolution du Bouddhisme au contact de l’occident ?

Voici ce que le vénérable Trinh Nguyen Phuoc en l’an 2000 à ce sujet :


Pour l’historien des civilisations Arnold Toynbee, " L’événement le plus significatif du 20ème siècle est la rencontre du bouddhisme et de l’Occident ".

Ce jugement a été confirmé de manière éloquente par la vitalité avec laquelle le bouddhisme s’est développé en Europe, en Amérique du Nord et en Australie au cours des dernières décennies.

Il ne s’agit pas seulement d’un développement superficiel, se limitant au phénomène médiatisé sous le nom de " bouddhamania ", mais d’un mouvement de fond. Grâce à une large diffusion des textes bouddhistes, à la fondation de milliers de centres d’enseignement, de pratique et de retraite bouddhistes, et à l’organisation de cours académiques qui attirent un nombre toujours croissant d’étudiants, le bouddhisme imprègne désormais profondément la société occidentale. Dans de nombreux pays occidentaux, il est déjà devenu la troisième religion en ordre d’importance, après le Christianisme et l’Islam.

Depuis les berges du Gange, le bouddhisme a d’abord rayonné vers le Sud au 3ème siècle avant notre ère sous la forme du Theravada. Il a ensuite connu une expansion vers l’Est, au 1er siècle de notre ère, sous la forme du Mahayana, pour être enfin transmis vers le Nord, au 7ème siècle, sous la forme du Vajrayana. N’assisterions-nous pas en ce 20ème siècle à une nouvelle transmission du bouddhisme, vers l’Ouest cette fois, sous une forme que nous pourrions provisoirement appeler le " Véhicule occidental " ? Et cette transmission vers l’Ouest ne constituerait-elle pas une troisième " Mise en Mouvement de la Roue du Dharma " ?….

… Le plus grand défi que doit actuellement relever le bouddhisme, c’est le matérialisme triomphant, parallèlement à un développement économique qui comble chaque jour davantage nos besoins matériels mais nous laisse dans un vide spirituel toujours plus grand. Paradoxalement, alors que l’Occident, berceau de cette civilisation matérialiste, cherche une issue à cette impasse en se tournant vers les traditions spirituelles de l’Orient, l’Orient, qui est le berceau de ces traditions, se jette quant à lui à la poursuite du modèle compétitif matérialiste de l’Occident.


Bien sûr, le problème n’est pas simple car l’homme moderne qui aspire à une vie spirituelle riche et élevée ne renonce pas pour autant aux bienfaits des progrès de la science et au confort matériel. Est-il possible de concilier ces deux facettes dans notre vie individuelle et collective ? C’est une question importante pour l’avenir de l’humanité en général et pour l’avenir du bouddhisme en particulier…

…Imprégné par la tradition scientifique propre au monde dans lequel il vit, l’Occidental a tendance à passer tout sujet en revue avec un esprit rationnel et critique, même dans le domaine religieux. Il est aussi toujours prêt à remettre les choses en question.

La bouddhologie est devenue une branche académique spécialisée, enseignée dans les grandes universités un peu partout dans le monde. De nombreux travaux de recherches y ont été poursuivis, débouchant sur des publications sérieuses et de grande valeur - tout comme, d’ailleurs, celles réalisées par les instituts et les centres d’études bouddhistes en Occident. Grâce à la profusion des moyens de diffusion disponibles – livres, magazines ou diverses techniques de télécommunication – l’Occident a joué un rôle considérable, pour ne pas dire de premier plan, dans la transmission du bouddhisme. Même parmi les bouddhistes vietnamiens, nombreux sont ceux qui reconnaissent avoir plus appris sur le bouddhisme à travers les écrits clairs et exhaustifs d’auteurs occidentaux (comme ceux de T.W. Rhys Davids, P. Carus, E. Conze, A. Watts, C. Humphreys, P. Demiéville, E. Lamotte, A. Bareau, Nyanatiloka, H. Dumoulin, A. Govinda, W. Rahula, H. W. Schumann, T. Cleary, R. Gombrich, H. Bechert, J. Blofeld, etc.) qu’à travers les ouvrages vietnamiens. Ainsi, l’apport des études bouddhiques en Occident depuis près d’un siècle a été pour le bouddhisme mondial une contribution importante et indéniable…

… La tendance générale à la désacralisation de la société pousse la plupart des Occidentaux à ne pas considérer le bouddhisme comme une religion ou une croyance, mais comme une voie de sagesse, un chemin spirituel qui mène à la délivrance, ce terme prenant une signification proche de " libération ". Même ceux qui suivent le bouddhisme Vajrayana tibétain admettent que les aspects formels tels que les rituels, les mantras, les mudras, les mandalas, etc., sont davantage des " moyens habiles " (upaya-kausala) qu’ils utilisent pour leur impact psychique que des manifestations dévotionnelles. En général, les bouddhistes occidentaux font davantage appel à la sagesse (prajna) qu’à la foi. Ils n’ignorent certes pas cette dernière, mais il s’agit alors de la foi de la confiance (saddha) en la Voie juste, de la confiance envers des maîtres qui ont précédé et qui leur indiquent le chemin à suivre, et non de la vénération de divinités dont les pouvoirs merveilleux sont sensés les sauver….

… Le bouddhiste occidental, qui pratique le Dharma dans le cadre spécifique de son environnement habituel, doit nécessairement se montrer souple, créatif et s’efforcer de trouver aux problèmes particuliers de la vie moderne des solutions en accord avec l’esprit du bouddhisme. Cette approche lui semble indispensable et naturelle, car mettre en pratique dans un environnement nouveau une doctrine millénaire issue d’une civilisation lointaine et très différente nécessite inévitablement des adaptations et des choix. Une telle attitude est beaucoup plus difficile pour un Oriental, accablé par le poids des traditions et des habitudes qui lui ont été transmises par ses ancêtres.

Ainsi, la source d’énergie nouvelle que le bouddhisme occidental peut apporter au bouddhisme mondial est précisément son regard neuf et les expériences nouvelles qui sont les siennes lorsqu’il applique les enseignements bouddhiques dans la vie moderne.

Inversement, les connaissances et les expériences méditatives amassées par les pratiquants orientaux tout au long d’une tradition millénaire constituent un trésor infiniment précieux pour les étudiants du bouddhisme, les scientifiques et les pratiquants du Dharma en Occident. S’ils parviennent à exploiter correctement ces richesses, ils en tireront de grands profits tant dans le domaine de la recherche que dans celui de la pratique….

…Il faut progressivement abandonner toutes les notions fantastiques et antiscientifiques, même si elles ont été mentionnées dans les textes, comme par exemple les notions de " mondes divins ", " d’âme ", de " démons ", " d’enfer ", etc. ou les phénomènes surnaturels (à l’exception des phénomènes psychiques encore inexpliqués). Ces éléments fantastiques ne sont d’aucun apport. Au contraire, ils ne peuvent que déconcerter les gens cultivés et créer davantage de malentendus au sujet du bouddhisme…

… Le bouddhisme peut être considéré comme la voie la plus égalitaire du monde. Plus de deux mille ans avant la " Déclaration universelle des droits de l’homme " (1789), le Bouddha rejeta déjà l’idée que les aptitudes spirituelles des êtres humains étaient fonction de leur caste et il défendit la notion que tous les êtres, sans distinction, possèdent la " nature de Bouddha " (tathagata-garbha), présente de manière latente et constituante le potentiel d’éveil de chacun. Qu’il s’agisse d’un marchand laïc comme Vimalakirti ou d’un jeune analphabète vendeur de bois comme Hui Neng, chaque être a la possibilité de réaliser l’éveil. Moines ou laïcs, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, intelligents ou simples d’esprits, les disciples du Bouddha sont tous égaux sur le plan de la spiritualité….

….Finalement, il serait bon que le bouddhisme vietnamien s’inspire de l’attitude pragmatique de l’Occident en abandonnant tout ce qui est superflu et fioritures, et en ne gardant que ce qui est essentiel et utile pour l’homme dans la société d’aujourd’hui. Les fidèles bouddhistes dans leur majorité attendent des religieux et des laïcs qu’ils leur transmettent, à partir de leur compréhension du Dharma et de leur expérience, un bouddhisme à la fois proche et présent, " ici et maintenant ", applicable dans la vie quotidienne et pas seulement sur les lieux de culte.

La voie bouddhiste, qui semblait à première vue bien éloignée des Occidentaux, se révèle, en définitive, très proche d’eux. A l’inverse, les Vietnamiens, auxquels elle paraissait très familière depuis leur tendre enfance, ont, à y regarder de plus près, encore beaucoup de chemin à parcourir.

S’il faut aux premiers le courage d’aborder le bouddhisme, il faut aux seconds le courage de remettre en question leur conception même du bouddhisme.

Toutefois, les uns comme les autres auront beaucoup de choses à s’apporter mutuellement. Ce sera tout particulièrement vrai lorsque les barrières culturelles qui les séparent encore aujourd’hui auront disparu pour les générations futures.

Et si notre hypothèse s’avère exacte, que la transmission du bouddhisme en Occident peut être considérée comme une nouvelle " Mise en Mouvement de la Roue du Dharma ", pourquoi le bouddhisme vietnamien ne pourrait-il pas se raccrocher à cette roue en train de tourner ?

Et comment pourrait-il alors échapper au changement ?...


    Trinh Nguyen Phuoc
Août 2000
(Traduction Corinne Segers, révisée par l’auteur – Janvier 2003)

Voici de larges extraits d’un enseignement du vénérable Trinh Nguyen Phuoc, le moine Bouddhiste vietnamien qui a essayé d’unifier les bouddhistes vietnamiens vivant en France. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’il dit, le peu ce que je sais et toute mon intuition me disent qu’il a cent fois raison ! J’aurais aimé rencontrer cet homme remarquable et visionnaire, malheureusement il à quitté ce monde avant que je ne découvre son enseignement. Mais grâce à cet enseignement il demeure encore avec nous.

Personnellement, j’ai un peu de mal à choisir quelle branche du Bouddhisme me convient le mieux et mon souhait serait de créer dans ma région un groupe de recherche et de réflexion sur le Bouddhisme occidental. Je suis persuadé que cette nouvelle mutation du Bouddhisme a déjà commencée, et qu’elle ouvrira la voie à de nombreux occidentaux qui sont actuellement la recherche de la Voie du Milieu.


Il est l’heure de pousser un peu la Roue du Dharma il ne faut pas qu’elle cesse de tourner…

Vous trouverez l’intégrale de ce texte et quelques autres à :
http://cusi.free.fr/fra/frax.htm